Entretiens avec Alain Villain (7). La vérité sur "l'affaire" des Boréades - II
JEUDI 7 AOÛT 2025 - Deuxième partie des aventures de STIL et d'Alain Villain avec les Boréades de Jean-Philippe Rameau...
Voici le huitième épisode de notre série d’été consacrée à Alain Villain et à l’histoire du label STIL, qu’il a créé en 1971. Cet épisode étant long, assurez vous de bien développer la fin du message dans votre logiciel de courriel !
Vous pouvez aussi le retrouver sur le site www.couacs.info évidemment, dans l’onglet “Histoires vraies”. de même que tous les épisodes précédents de cette série d’entretiens :
Cette série est réservée en lecture intégrale aux abonnés Couacs Info Premium.
Résumé de l’acte I, dont on ne peut que recommander la lecture intégrale avant la lecture de ce nouvel épisode :
Le chef d’orchestre britannique John Eliot Gardiner a créé en avril 1975 à Londres, avec le soutien de la BBC, Les Boréades de Jean-Philippe Rameau. Une collaboration entre STIL et Gardiner s’engage à la suite de ce concert, qui vise à éditer la partition de l’œuvre inédite en la mettant à disposition des interprètes et amateurs futurs, en l’enregistrant et en l’exploitant.
Alain Villain se met au travail pour graver dans les règles de l’Art une copie du manuscrit détenu par la Bibliothèque Nationale. Cette copie avait été réalisée par des agents de la BBC pour Gardiner et son concert d’avril 1975, à partir de microfilms commandés par Gardiner à la BN, documents de consultation qui ne lui donnaient pourtant aucun droit de reproduction. Mais Gardiner pensait, de bonne foi, tout comme Villain, que l’œuvre était du Domaine Public1.
John Eliot Gardiner suit le travail de gravure, donne des indications, se rend à Darmstadt pour vérifier que les choses vont dans le bon sens et se déclare satisfait.
Mais Villain reçoit un jour une lettre de la BN l’informant que Les Boréades, n’est PAS du Domaine public, que la BN en détient les droits et que son exploitation doit faire l’objet d’un contrat spécifique s’il souhaite en devenir l’éditeur. Lors d’une rencontre à Londres, il informe Gardiner de cette particularité juridique inquiétante car STIL s’est engagé très avant dans le travail de gravure, et l’a payé.
Or, en prélude à cette rencontre londonienne, Gardiner fait attendre longtemps Villain avant de le recevoir, et Villain entend le chef d’orchestre dans la pièce à côté en pleine discussion pour un deal avec un autre éditeur ! Villain ne pipe mot mais repart troublé. Rentré à Paris, il décide de signer le contrat que lui propose la Bibliothèque Nationale et devient de ce fait l’éditeur exclusif de l’œuvre, seul détenteur du droit d’autoriser représentations ou enregistrements…

Alain Villain - En date du 27 décembre 1976 et alors que commence une guérilla interminable, d’abord avec Gardiner puis avec tous les autres, Georges Le Rider, administrateur général de la Bibliothèque Nationale m’écrit la lettre reproduite ci-dessus, dans laquelle il re-confirme les droits dont je suis titulaire par contrat, et qui sont incontestables.
Car j’avais découvert, comme indiqué dans notre dernier entretien, que John Eliot Gardiner, sans m’en parler, c’est-à-dire sans en parler à l’éditeur légitime désormais, avait déposé dans mon dos “sa version” de l’œuvre à la PRS (équivalent de la SACEM en Angleterre) et monté tout un plan d’exploitation des Boréades qui comprenait entre autres un concert au Festival des Flandres à Bruges. J’ai alors décidé de rompre toute collaboration avec un homme dont il était patent qu’il n’était pas un partenaire loyal et ne roulait que pour ses lui-même. Et j’ai jeté à la poubelle l’énorme et coûteux travail de gravure réalisé à Darmstadt d’après la copie de la BBC dans le cadre de ce qui devait être une collaboration avec Gardiner. Il allait me falloir tout recommencer, avec ce que cela comportait de frais supplémentaires. Mais cela me plaçait aussi dans une situation financière délicate car si je devais remplir toutes les obligations de mon contrat, il était normal et légitime que j’en reçoive en regard les revenus. La situation juridique était simple et claire : toute exécution publique ou autre devrait faire l’objet d’un contrat avec les éditions STIL et les droits d’auteur pareillement revenaient aux Editions STIL.
De la spécificité éditoriale des Boréades, Gardiner ne disait pas un mot aux producteurs et partenaires avec lesquels il traitait. J’ai dû à chaque fois intervenir, me battre pour faire respecter les droits de STIL et de ce fait endosser le mauvais rôle, que ce soit pour les représentations de Gardiner ou celles des autres artistes qui s’intéressaient à l’œuvre.
Yves Riesel - Donc, en 1978 Gardiner a dirigé l’œuvre au Festival des Flandres à Bruges. S’agissait-il d’une réplique du concert de Londres ?
AV - Oui… à la grande différence que l'œuvre avait désormais un éditeur et que cette exécution devait se dérouler dans la légalité. Bataille juridique à nouveau : j’écris au Festival des Flandres. Pas de réponse, mépris. J’ai donc fait envoyer des huissiers. Le mieux, pour rendre compte de cet épisode à Bruges, est de faire un saut dans le temps que vous me pardonnerez. Et de lire les déclarations de Simon Rattle quand il a dirigé l’œuvre plus tard à Salzbourg en 1999, en utilisant l’édition STIL alors réalisée. Dans le programme du festival, répondant aux questions de James Jolly (alors rédacteur en chef du Gramophone et comme toujours contempteur bien nourri de la jet-set musicale ), Rattle a raconté de manière drolatique comment John Eliot Gardiner à Bruges en 1978 s’est littéralement planqué comme un rat une journée entière dans une église à l’apparition d’un huissier de justice mandaté par le “villain” STIL, puisque le festival refusait obstinément de payer les droits légaux. Voir la troisième illustration, à droite, ci-dessous :

Traduction de l’interview de Rattle par James Jolly :
« Il existe une loi française particulière qui stipule que si vous achetez quelque chose à la Bibliothèque Nationale, vous n'achetez pas seulement le manuscrit, mais aussi les droits de propriété intellectuelle sur l'œuvre si elle n'a pas été publiée ailleurs. Un éditeur a acheté la partition au milieu des années 1970 et l'a gardée jalousement pour lui. John Eliot avait fait copier sa propre édition à la main depuis la Bibliothèque Nationale. L'histoire des représentations est alors devenue particulièrement étrange ; il y a même eu cette fameuse fois à Bruges où la police est venue pour tenter de saisir les partitions d'orchestre, et Gardiner a dû rester toute la journée dans une église pour éviter d'être arrêté. Personne ne le croirait si c'était un roman !
Et Rattle d’ajouter :
“ L'édition publiée est magnifiquement réalisée et, bien qu'elle paraisse sous le nom des Éditions STIL, il s'agit à toutes fins pratiques de l'édition de John Eliot, bien que non créditée. »
Ce Sir Simon là fait bon marché de la légalité. On ne sache pas qu’il soit aussi peu regardant au sujet de ses propres intérêts financiers, cachets ou royautés. D’autre part, son ami Gardiner l’a mal renseigné : l’édition STIL qu’il a utilisé pour les représentations de Salzburg et qu’il couvre d’éloges, n’était en rien la version Gardiner ! C’était l’édition STIL à part entière, publiée en 1999, qui n’avait rien à voir avec Gardiner. Colin Kitching, alors bibliothécaire de The Orchestra of the Age of Enlightenment, orchestre que dirigeait Rattle à Salzburg m’a d’ailleurs fait un compliment qui m’est allé davantage au cœur que celui, frelaté, de Rattle. Il m’a écrit : “ Ah, quel beau travail pour les musiciens ”. Bien sûr, James Jolly n’avait rien vérifié des sottises de Rattle car les stars de chez Universal Music ne peuvent dire que la vérité à un journaliste de Gramophone, c’est bien connu.