La lettre de Couacs Info, numéro cent-sept
LUNDI 1er SEPTEMBRE 2025 - Misère de la distribution numérique - La musicologie, cet univers impitoyable ! (entretiens avec Alain Villain) - Quelques disques pour la rentrée.
Au sommaire cette semaine :
LES NOUVEAUX MYSTÈRES DE LA MUSIQUE (2)
- Misère de la distribution numériqueENTRETIENS AVEC ALAIN VILLAIN, CRÉATEUR DES DISQUES STIL
- Dans le dernier entretien paru de la série consacrée à l’histoire de STIL, on dévoile, avec des documents inédits, les mécanismes du travail de sape dont alain Villain fut victime dans l’affaire des Boréades.
DES DISQUES POUR LA RENTRÉE
- Énorme semaine de nouveautés discographiques ! Mais… qu’ont-ils donc à rentrer, chaque année, les artistes ?
Les (nouveaux) mystères de la musique classique - 2
Misère de la distribution numérique
J’ai écrit cet article à la suite de plusieurs échanges avec des abonnés à Couacs Info qui me demandaient avis et conseil. J’ai été étonné de constater à quel point ils connaissaient peu les arcanes par lesquelles passaient leurs productions ou les productions auxquelles ils participaient, ou qu’ils avaient financées.
Extraits :
[Pour lire l’article en intégralité, cliquez sur le bouton, plus bas ]
[ … ] Sur le sujet de la musique dématérialisée, et du streaming en particulier, les innombrables articles de la grande presse, la mise en cause, voire le boycott de Spotify, les débats pipés sur l’IA ou les calculs révélant « le prix moyen payé par stream » procèdent d’un bavardage mal informé. Tout cela repose sur une vision globalisante, moyennée et donc erronée d’un marché dont les logiques économiques diffèrent radicalement selon les genres musicaux.
La vente physique, sous forme de CD ou de vinyles, permettait à chaque label de fixer son prix, de façonner son réseau de vente et de maîtriser ses revenus probables — modulo succès et échecs. En bref, elle permettait de maîtriser son modèle économique.
Ce n’est plus le cas avec la distribution numérique. Avec le passage au streaming, la musique classique et les genres spécialisés ont été dépossédés de leur droit légitime à la segmentation. Depuis lors, ils subissent le diktat du modèle économique de la pop.
La distribution numérique ne sait pas leur dire grand-chose d’autre que de se caler sur les méthodes de popularité des réseaux sociaux les plus superficiels pour y devenir populaire en justifiant de nombreux followers. Si par chance vous y parvenez, elle vous offrira une place sur une playlist, déclenchant des revenus bénis de quelques centaines d’euros pour une piste d’album vieille de 20 ans que vous aviez oubliée, choisie par un algorithme sans explication. Pendant ce temps, votre dernière et audacieuse nouveauté ne vous rapportera rien et n’aura pas de visibilité car absolument rien, rien de rien, n’est prévu pour monétiser une symphonie d’une heure en quatre mouvements !
[ … ] Les innombrables articles qui paraissent dans la presse, consacrés au streaming n'incriminent jamais les distributeurs numériques : on semble ignorer jusqu'à leur existence, leur fonction et leurs responsabilités, ce qui était clair récemment à propos des sujets sur les musiques créées par l'IA.
Jadis, la distribution physique mobilisait des centaines de sociétés ou de filiales des Majors dans le monde, dotées de chefs de produits spécialisés. Elles employaient des milliers de commerciaux, souvent passionnés et en tout cas soucieux de leurs résultats, qui visitaient des dizaines de milliers de disquaires, suscitant autant de contacts, d’échanges, de coups de cœur et de convictions.
Cette véritable communauté au service du disque classique a disparu avec le numérique, même si deux ou trois acteurs héroïques subsistent en France. L’écosystème agissait comme une filière qui permettait à des labels naissants de démarrer sans ressources et de gagner leurs galons à l’ombre de labels déjà couronnés de succès et grâce à l'enthousiasme d'un réseau de professionnels heureux de s’enflammer, soutenu aussi, à l’époque, par une presse spécialisée et généraliste moins soumise à la pression du mainstream.
Musicologie, ton univers impitoyable !
Dans le plus récent épisode de mes entretiens avec Alain Villain, créateur du label STIL, il est question d’une musicologue redoutable que les droits d’édition dévolus concédés à STIL par la Bibliothèque Nationale gênaient dans ses projets…
Extraits :
[ … ] “ Cette affaire des Boréades aura connu deux périodes. Au cours de la première, je me suis trouvé opposé à la fourberie puis à la fureur de John Eliot Gardiner, ce qui m’a conduit à voler de mes propres ailes. Au cours de la seconde, j’ai dû subir les assauts constants, d’un certain point de vue plus redoutables, d’une personnalité aujourd’hui considérée éminente spécialiste de Rameau, ce que je ne vais pas prendre le temps de contester, Sylvie Bouissou. Son caractère vindicatif, sa conception toute personnelle du collectif, sa manière d'infiltrer les instances ; la façon dont elle a lutté pour influencer par tous moyens et à tous niveaux les institutions, aurait tendance à me rendre méfiant, si j’avais besoin d’utiliser ses travaux, fût-ce pour jouer de la musique. Sa volonté de vaincre, de gouverner, de signer — et, pour ce qui me concerne directement de combattre puis d’effacer STIL de l’histoire de la resurrection des Boréades a bien des relents.
“ Et puis, après tout, je dois dire que je suis un éditeur, et en tant que tel que je me suis toujours considéré comme le serviteur des grands artistes qui ont fait un bout de chemin avec moi, en travaillant avec eux dans le respect, la confiance, l’amitié, la fidélité. Le reste ne m’intéresse pas. Pour moi, éditer les Boréades était une aventure humaine, éditoriale, pas une question musicologique. Sans nier l’importance de la musicologie, surtout dans le domaine de la musique ancienne, disons que j’ai naturellement davantage de sympathie quoi qu’il arrive, davantage de respect, même pour un type comme Gardiner avec lequel je ne me suis pas entendu : il est un musicien-chercheur, pas un rat de bibliothèque réparateur de triple-croches. [… ] “
[… ] “ En 1992 Sylvie Bouissou publie un premier ouvrage : Les Boréades, la tragédie oubliée, avec le soutien du CNRS aux éditions Méridiens-Klincksieck. En avant-propos elle me remercie, de même que Catherine Massip et d’autres qui sont ses complices de la Société Jean-Philippe Rameau :
“ Je remercie Monsieur Alain Villain, directeur des Editions Stil, qui m'a fait découvrir en 1979 Les Boréades, œuvre posthume dont les manuscrits appartiennent à la Bibliothèque nationale et dont les droits exclusifs d'exploitation ont été confiés, depuis 1976, par contrat, aux éditions Stil, dans le cadre de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. “
“ On ne saurait mieux dire, ni être plus aimable. Mais peu à peu, je découvre que Sylvie Bouissou a des projets bien différents pour les Boréades qu’une collaboration avec les Editions STIL. En 1993, elle crée Musica Gallica, initiative qui réunit Ministère de la Culture, Fondation Salabert et Chambre syndicale des Éditeurs de musique de France. Elle en devient Secrétaire Générale.
“ Musica Gallica a été créé “ afin de promouvoir l’édition scientifique du patrimoine musical national – des œuvres allant du Moyen Âge au XXᵉ siècle – afin de les rendre accessibles aux chercheurs et aux interprètes.”
“ Je tente en février 1995 un nouveau contact, cette fois par un courrier dans lequel je sollicite une subvention de Musica Gallica donc à Sylvie Bouissou, ès qualité : elle me doit la découverte des Boréades, c’est elle qui l’a dit ! Elle travaille à une adresse officielle au 55 rue du Rocher mais dispose aussi, tiens, tiens, d’un bureau à la Bibliothèque nationale.
[… ] Sylvie Bouissou décidait donc de nous considérer, moi et mon équipe, comme incompétents pour réaliser l’édition d’une œuvre dont pourtant STIL était seul à détenir les droits ! Et elle ne me l’envoyait pas dire. [ … ] En ce temps-là, les premiers volumes de Rameau Opera Omnia étaient annoncés comme publiés par l’éditeur Gérard Billaudot. Je découvre un jour que Sylvie Bouissou y annonce dans le cadre de Rameau Opéra Omnia. une édition des Boréades avec la mention “ sous réserve ”;

YR - Pourquoi ne pas avoir réagi à ce moment précis, puisque cette édition était tout simplement impossible sans votre accord ?
AV - Vous avez lu que je mentionne ce point dans ma lettre reproduite plus haut. Trop courtoisement, sans doute. Mais, franchement : à ce moment je travaille sérieusement, passionnément, avec mon équipe d’éditeurs. J’ai eu sans doute tort, en effet, de ne pas mettre le holà de manière plus ferme et formelle. On se lasse d’envoyer des lettres d’avocats, parfois i Je n’ai pas jugé utile de prendre du temps pour entamer une procédure de plus, officielle, pour calmer les ardeurs de cette Madame “ sous réserve”, dont j'avais pourtant pu évaluer l’agréable caractère. Mais, elle pouvait bien raconter ce qu’elle voulait, on verrait plus tard : j’étais détenteur du copyright et bien avancé dans une édition qu’elle n’avait pas le droit de faire.

DISCO-COUACS
Des disques pour la rentrée…
Et, tout d’un coup, alors qu’au cours des mois d’été la disette régnait, c’est l’avalanche !
Le prochain Disco Couacs paraîtra jeudi prochain, avec ma sélection très personnelle comme toujours de nouveautés et rééditions parfois inattendues. En voilà déjà quelques uns, en mosaïque : les commentaires, c’est pour jeudi prochain. Tous ces albums sont disponibles sur les plateformes de musique en ligne.
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