Jean-Michel Jarre au pays du GRM, un conte de fées ?
[ ACCÈS LIBRE ] - 23 Janvier 2022
Jean-Michel Jarre, cette vieille chose sur-liftée et combinarde, faisait frétiller tout Radio-France ces jours-ci, où il livrait les 21 et 22 janvier dans le cadre de "L’Hyper Week-End Festival”3 concoté par Didier Varrod (le plus grand malfaiteur de la musique dans la Maison ronde), une création nommée “Oxymore” en hommage à Pierre Henry qui lui aurait “légué des sons” en même temps peut-être que l’une de ses dents en or, qu’il a plantée dans son jardin pour l’y faire pousser.
Le compositeur et essayiste Michel Chion, énervé par les libertés autobiographiques de Jean-Michel Jarre, a rendu publique le 16 janvier la lettre ouverte que voici, destinée à son ancien condisciple un temps au Groupe de Reherches Musicales (INA-GRM) :
“ Dans les contes, on trouve l'histoire de quelqu'un qui est puissant et riche, mais à qui il a manqué quelque chose - le fameux Rosebud. Un manque qui peut être le début d'une quête. Jean-Michel Jarre, un compositeur qui a tout, popularité et richesse, et cela à une échelle planétaire, pense, lui, qu'il lui suffit d'arranger sa biographie et d'inventer ce qu'apparemment - j'en suis étonné - il souffre de n'avoir pas eu, alors que cela devrait lui être indifférent : l'appartenance, autrefois, à une vieille institution fondée en 1958 par Pierre Schaeffer, le Groupe de Recherches Musicales. Ce groupe « élitiste » que tu critiquais autrefois, Jean-Michel - je te tutoie, car nous avons été condisciples et amis de 1969 à 1971-, je suis désolé mais tu n'en as jamais été membre. Laisse cela à des gens comme moi, mais aussi à d'autres personnes également insignifiantes à tes yeux telles que: François Bayle, Ivo Malec, Guy Reibel, Beatriz Ferreyra, Robert Cahen, Roger Cochini, Denis Dufour et quelques autres pas si nombreux, qui en ont eux réellement fait partie, dont certains l'ont même dirigé. Toi tu as été, comme moi au début, un élève au stage d'électroacoustique assuré par le GRM sur 2 ans, tu as franchi la sélection en deuxième année en même temps que Robert, Roger et moi (avec lesquels, à Reims, tu as donné ton premier concert), mais tu as choisi de ne pas suivre cette deuxième année jusqu'au bout. Au Conservatoire de Paris, au printemps 1971, je me rappelle t'avoir vu critiquer en face Schaeffer pour sa position réactionnaire à l'époque, et le GRM était pour toi un groupe dépassé et sous-équipé.
“ Nous avions parlé auparavant, entre élèves, de ton souhait de ne pas terminer ce stage ; tout en te comprenant, je voulais aller jusqu'au bout. Toi, tu étais le fils d'un compositeur célèbre de musique de film, et même si tu quittais le stage avant la fin, ton carnet d'adresses te permettrait facilement de trouver ailleurs des moyens de travail, ce qui n'a pas tardé. Moi, et d'autres stagiaires, nous n'avions pas les entrées que tu avais.
“ Quand le GRM m'a proposé de le rejoindre, à l'été 1971, à l'issue du stage, c'était pour les qualités de pensée et d'écriture qu'ils m'attribuaient, et pas pour mon talent de compositeur, qui restait à manifester. Toi, tu étais doué, et tu avais déjà composé une étude de stage brillante, mais de style GRM. Tu as choisi ensuite de faire de la musique populaire, et c'est respectable; si ta musique ne me plaît pas autant que d'autres tout aussi populaires, c'est seulement mon goût. Te plaît-elle à toi-même ? Je me le demande parfois.
“ Tu es donc planétairement célèbre mais cela ne te suffit pas : tu veux en plus la respectabilité culturelle. Soit. J'aimerais que tu l'acquières autrement qu'en prenant aux autres ce qu'ils sont fiers d'avoir réellement eu (car je suis fier d'avoir été membre du GRM, même si j'en ai démissionné en 1976) et autrement qu'en réduisant Pierre Henry à n'être, je te cite, que « le grand père des D.J. », (!) et l'homme soi-disant de la Messe pour le temps présent (titre de Béjart, musique aux trois quarts de Michel Colombier). Riche comme tu l'es, tu pourrais aider à faire connaître les grandes oeuvres de Pierre Henry comme Le Voyage, à subventionner une édition correcte et accessible à un large public des meilleurs écrits de Schaeffer. Et qui sait, à fonder l'école schaefférienne que le GRM n'a pas voulu créer, encore moins son dernier directeur. Tu rendrais ainsi un véritable service à la mémoire de ces deux hommes.
“ Ton séjour imaginé au GRM en tant que membre est d'autant plus un conte de fées qu'à t'en croire, tu n'y aurais rencontré que des stars de la musique contemporaine : Stockhausen (que je n'ai jamais vu au GRM), Pierre Henry (qui n'en faisait plus partie depuis longtemps), etc... Une star comme toi ne saurait rencontrer que des stars.
“ Si tu veux me joindre et communiquer, quand tu auras donné ta masterclass sur «JMJ au GRM » le 21 janvier 2022, tu peux me contacter par mon site michelchion.com ; c'est très facile. Je te répondrai, promis, et si tu le souhaites, je te reverrai avec plaisir pour parler de tout ça.
M.C., 16 janvier 2022
À propos de cette musique électro que je ne déteste pas entièrement à titre personnel ou plutôt dont j’aime certains des acteurs, quoique le genre prenne désormais des contours bien relâchés, j’avais déjà observé que les deux Pierre, Pierre Schaeffer et Pierre Henry, servaient souvent de potion magique à trop d’impudents. Quand je questionnais des jeunes gens bien dans leur époque sur leurs goûts musicaux, à l’occasion d’embauches, il se trouvait beaucoup, parmi ces consommateurs de l’électro la plus commerciale, pour mentionner rapidement Pierre Schaeffer et Pierre Henry, et ainsi faire sérieux, et culturel. De ces deux -là, ils n’avaient probablement pas entendu le moindre… bruit.
La musique classique, ce fétiche
Nous vivons une époque où cette pauvre musique classique est devenue un fétiche, un fantasme permanent, un faire valoir. On abuse de son prestige supposé pour vanter la musique commerciale. Si vous avez commencé un jour vos études dans un conservatoire, n’oubliez pas de dire que vous avez détesté, et que le solfège c’est dégoûtant. Si vous aviez originellement quelque inclination pour la musique classique et l’avez pratiquée, repentez-vous, que ce soit sur France Inter ou France Musique ! Une demi-heure quotidienne à l’heure du déjeuner sur France Musique ne fait d’ailleurs que cela : donner la parole à n’importe qui, à condition de n’avoir rien à dire sur la musique classique, mais de le dire quand même. Le contenu de l’émission est à l’image de son titre très distingué : “La Quatre saisons n'est pas qu'une pizza”.
Didier Varrod à qui Le Monde consacre un portrait flatteur le 20 janvier, met à la disposition de la soupe la plus pénible et d’une sélection bien choisie des chanteuses les plus aphones ou les plus féministes du moment ce sont souvent les mêmes), les orchestres et les formations de Radio-France, détournés de leur raison d’être. On a même inventé un nouveau genre : le Hip-Hop symphonique. Au début c’était rigolo. Mais il s’institutionnalise, maintenant : le Ministère de la Culture a dû donner des consignes en ce sens.
L’air du temps encourage ces dérives dont il résulte qu’on fait jouer à des orchestres permanents subventionnés des trucs de variétés que Madame Gravoin et ses intermittents feraient mieux, plus habilement et à meilleur profit ; que les orchestres anglais privés (mais pas ceux de la BBC !… ) font depuis toujours, en mieux eux aussi c‘est-à-dire pour moins cher, et plus vite, ce qui n’est pas dans la tradition des orchestres français publics. Ces orchestres anglais privés le font essentiellement, d’ailleurs, pour faire bouillir leur marmite.