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La Région Hauts de France a rebaptisé vendredi 17 février l’auditorium qui se trouve dans son centre de congrès « Nouveau Siècle » du nom de Jean-Claude Casadesus, à l’issue d’un concert qu’il a dirigé
Il m’est moins facile de dire du bien que du mal, dans COUACS.INFO ! J’en éprouve la difficulté en voulant témoigner sur Jean-Claude Casadesus, l’un des hommes les plus remarquables et les plus vertueux que nous ayons eu la chance d’avoir dans la France culturelle, depuis la fin des années 50. Notre homme traverse aujourd’hui encore, d’un pas leste, la scène, avec une allure de jeune homme et la gourmandise insatiable de rejoindre le podium.
“ À mon âge” , me dit-il, '“je ne pense plus à ma fin de vie, mais à ma faim de vie.”
Il y a eu trois Jean-Claude Casadesus :
D’abord l’instrumentiste, le percussionniste, à la fin des années 50 et dans les années 60, musicien de concert et de studio qui a aussi fait tant de séances de variétés comme on y gagnait sa vie à l’époque, qui a orchestré, composé, arrangé… et défendu tant, déjà, la musique moderne, et déjà pratiqué joyeusement des mélanges qui faisaient sens.
Puis, le chef en formation, dont la largeur du répertoire ira du Châtelet et ses opérettes à l’Opéra-Comique dont il fut le chef permanent : une période incroyablement riche. Je me permets de renvoyer à sa fiche Wikipedia où tout est décrit avec force détails.
L’aventure remarquable à Lille, enfin, au cours de laquelle, au delà des résultats artistiques eux-mêmes, il a réalisé un travail de décentralisation, de pédagogie, de culture populaire unique, qu’aucun chef d’un orchestre de région en France n’a su mener à ce niveau de générosité, et dont les résurgences actuelles ici et là bénéficient à la base de moyens institutionnels dont Casadesus ne disposait pas au début de son action, dans une région à l’époque lourdement sinistrée.
J’ai rencontré pour la première fois Jean-Claude Casadesus, en tant que journaliste, au début des années 80 quand sortaient ses premiers disques de l’Orchestre de Lille chez Forlane. Répertoires ambitieux, œuvres majeures… la critique était facile : il aurait fallu se cantonner à des découvertes sans références. Faire des disques à l’époque n’était pas facile en France pour un jeune orchestre, mais Casadesus avait compris que c’était nécessaire, à la fois musicalement, pour que l’orchestre “s’entende”, et médiatiquement. Quant au grand et ambitieux répertoire, avec le recul il n’est pas certain qu’il ait eu tort, pour le bien de l’orchestre son attractivité vis à vis des solistes.
Il faut rendre grâce à Ivan Pastor, qui dirigeait Forlane pour ce travail discographique initial. Aujourd’hui, ce catalogue semble dispersé et il est mal exploité en numérique.
Les musiciens seuls ne peuvent pas tout faire. On pense bon depuis quelques années de promouvoir auprès d’eux l’autoproduction : c’est une bien mauvaise action à l’égard des artistes les moins débrouillards, qui ne sont pas souvent les plus mauvais : un milieu professionnel national de qualité, ses producteurs, doivent porter le développement d’un artiste. Les maisons de disques françaises ont été globalement défaillantes sur ce point vis à vis des « orchestres Landowski ». À la notable exception de EMI avec Plasson à Toulouse.
J’avais remarqué que Casadesus et son orchestre ne semblaient pas convaincre, sauf par opportunité conjoncturelle, telle ou telle maison de disques de mener une politique suivie. Il y a eu de bons disques chez hm, mais hm n’avait décidemment pas la fibre symphonique en ce temps là ; et quand à EMI France, on n’avait pas l’impression que le chef y déchainait une passion particulière.
Pour l’avoir souvent entendu en concert avant même de le connaître personnellement, j’étais personnellement choqué de le voir trop cantonné par le milieu musical, et sa presse, dans son histoire lilloise dont on saluait encore et encore la belle anecdote, vieux souvenir emblématique des quelques bonnes années de la gauche culturelle au pouvoir…
Mais pour le musicien, on témoignait parfois d’une certaine condescendance bien idiote. L’aventure lilloise aura sans doute trop masqué le chef que Casadesus était devenu. La machine ONL fonctionnait à plein pot, elle était médiatique, on voyait Casadesus souvent dans les médias — mais il n’était pas considéré par un certain “métier” à sa valeur.
C’est la raison pour laquelle, quand j’ai eu la possibilité de développer la production de musique française chez Naxos, j’ai contacté Jean-Claude Casadesus. Au début des années 90 nous avons fait un bout de chemin discographique qui a produit cette discographie avec l’Orchestre de Lille
Casadesus ne fut pas uniquement celui dont on a une idée reçue aujourd’hui, celui qui mené une politique culturelle aussi exemplaire soit-elle.
Il a été et est encore le témoin agissant d’une esthétique française “dans son jus”, pas réinventée, héritière des meilleurs chefs français du XXe Siècle. J’ai déjà mentionné l’énorme travail qu’il a réalisé pour la musique de son temps. Mais Casadesus, en chef français “des années 60” n’a jamais non plus relâché l’effort sur le patrimoine de la musique française XIX° et XX°, avec une liberté esthétique assez notable. Il a d’ailleurs été, aussi, le Président de Musique Nouvelle en Liberté.
Force est de constater qu’il n’a pas eu en France, quand il a atteint la maturité, les engagements qu’il méritait et mériterait encore auprès de nos grands orchestres ; qu’il nous a manqué auprès des orchestres parisiens dans bien des répertoires quand les grands chefs de la tradition française de l’après guerre se sont retirés : il en était par bien des aspects, esthétiquement, le continuateur. Musicalement, moi, c’est ce que j’aime chez lui. Il me rappelle Pierre Dervaux, et c’est aux concerts de Pierre Dervaux que j’ai appris mon symphonique.
L’orchestre de Lille tel que refondé par Casadesus avait débuté ses activités sans salle permanente. Puis s’était installé dans la salle antérieure du Nouveau Siècle, peu satisfaisante. Casadesus s’est ensuite battu pendant des années pour parvenir à convaincre ses tutelles de faire rénover cet auditorium, devenu une salle confortable, large, accueillante comme des bras ouverts, sans chichis ni complications inutiles, et qui dispose d’une acoustique mieux que satisfaisante.
Il vaut mieux honorer et dire aux gens qu’on les aime de leur vivant. Et c’est donc justice que Xavier Bertrand et le Conseil Régional des Hauts de France aient honoré Jean-Claude Casadesus : cette grande salle du Nouveau Siècle, en plein centre de Lille, porte désormais son nom.
Au programme figurait l’Ouverture du Roi D’Ys de Lalo (compositeur lillois), la Symphonie Pathétique de Tchaikovski et la Fantaisie-concerto pour alto et orchestre de Graziane Finzi, avec un soliste vraiment hors du commun, l’altiste Nils Mönkemeyer, un orchestre en très grande forme et quelques pupitres exceptionnels.
Avec le recul, quelques disques très réussis et un Pelléas et Mélisande compliqué avec Gérard Theruel, Mireille Delusnch, Armand Arakian et Gabriel Bacquier mais qui me laisse de bien beaux souvenirs