Cela fait 20 ans que le Top Classique du Snep ne sert à rien, ne dit rien, ne nous apprend rien, parce qu’on y fait entrer n’importe quoi et qu’on y mélange les choux et les carottes.
Voici par exemple le tout récent sommet du Top Classique de la semaine du 16 décembre 2022.
Un rapide coup d’œil sur les meilleures ventes classiques de la semaine dernière telles que publiées régulièrement par le site du Snep (Syndicat National de l’Edition Phonographique) permet de se rendre compte que, quinze ans après l’avènement du streaming payant, le répertoire classique reste largement inadapté à la commercialisation par le streaming. Il est inadapté à l’usage pour l’amateur, comme économiquement inadapté pour les producteurs, suivistes des méthodes de la variété qu’ils acceptent comme inévitables, au-delà de quelques jérémiades impuissantes.
A l’époque où les magasins vendaient encore des disques de manière significative, ce “Top” n’était déjà pas brillant : les publicités télévisées propulsaient à sa tête leurs priorités. Et on en a vu passer des incongruités ! Comme le maintien en tête de longues semaines durant de la musique de James Horner pour le film Titanic, bande originale de film opportunément étiquetée classique, ce qui permettait de booster de manière fictive la catégorie classique dans les statistiques annuelles en général, et faisait plaisir à Sony. D’obscures règles concernant les rééditions en chassaient jadis par ailleurs des albums bel et bien classiques, au profit du business du crossover. Quand j’ai eu mon succès du coffret Mozart, des tripatouillages l’on fait entrer et sortir sur plusieurs semaines sans que je n’y comprenne rien, au prétexte qu’il était atypique. Et pourtant c’était du Mozart pur jus.
Maintenant, on découvre que le pianiste nommé Sofiane Pamart est couronné premier au Top Classique au cours de la semaine du 16 décembre, suivi par les deux guignols affairistes habituels de la notoriété télévisée, dont je ne citerai pas les noms, de peur de lasser. En compagnie aussi de Max Richter, Andrea Bocelli, André Rieu, Ludovico Einaudi, Riopy et... cinq ou six ratons laveurs, comme disait Prévert.
On ne va pas s’étendre sur le talent de Sofiane Pamart : il a du succès, et a tout autant le droit de figurer dans un palmarès des meilleures ventes que d’autres vendeurs.
Mais il ne manquait plus que ça : Arte l’a maintenant certifié “culturel”, dans un film hallucinant de kitch, qui volontairement ou pas actualise l’esthétique Liberacce et permet de se distraire l’oeil en découvrant son incroyable nullité musicale. Il faut voir ça ! C’est au programme des fêtes de fin d’année, capté dans l’Hôtel de la Marine, sous le parrainage de Fip, et disponible en Replay. Merci le service public.
Pamart est-il à sa place dans la catégorie classique ?
Certainement pas, car, les amateurs et d’autant plus les professionnels du Snep doivent le savoir : la musique de Sofiane Pamart n’est pas de la musique classique dans l’acception répandue du terme. C’est de la variété, relevant d’un nouveau genre bien mal désigné comme “Néo-classique”, et qui mériterait d’ailleurs très légitimement son propre palmarès.
Il ne viendrait pas à l’idée des gens au Snep de placer Pamart sous l’étiquette Rock, ou Rap : cela ferait jaser. Alors, pourquoi l’imposer au classique, sous prétexte qu’il brandit au nez des gogos une grotesque médaille de piano du Conservatoire de Lille ? Le problème n‘est d’ailleurs pas non plus qu’il n’ait pas de diplôme sérieux. Le problème c’est qu’il joue comme une patate, un sirop lamentable. Qu’il ne joue pas de la musique classique.
L’établissement de ce palmarès est aujourd’hui le fruit d’une combinaison des ventes physiques de CD ou téléchargement, et du nombre d’écoutes en streaming auquel une pondération est appliquée.
Les quelques disques classiques “sérieux” qui surnagent dans ce classement sont le fait des micro-mises en place / mises en avant centralisées de la Fnac, ou des Espaces culturels Leclerc. Ces disques “sérieux”, le plus souvent publiés par des Majors qui ont encore les moyens d’une discussion avec les magasins, font chaque fois dans ce Top un petit tour de gloire rapide, et puis s'abîment dans les profondeurs les semaines suivantes. Ce n’est pas une révélation : le maintien d’un album dans le Top n’a rien à voir avec le talent, mais avec la réussite de la promo. Encore le critère des ventes représente-t-il quelque chose de sonnant et trébuchant en variété ! Il ne représente plus rien en classique, que de la part de marché en visibilité média.
En vérité, la totale déshérence de ce Top Classique est à l’image de l’abandon par les professionnels de la catégorie classique. On continue à sortir des albums : cela ne coûte presque rien grâce aux financements amont par subventions ou autoproductions. Mais on n’en attend rien non plus. Il n’y a pas à ce jour la moindre réflexion industrielle pour sortir le disque classique de son impasse économique, mis à part le travestir, on ne voit pas d’initiatives, on ne voit rien changer,
Une bonne chose serait, en attendant de faire le ménage dans le Top Classique ou, si les ventes sont tellement faibles que le relevé de ventes n‘est pas significatif, de le supprimer en attendant des jours meilleurs. Au lieu de l’abandonner aux truqueurs car, comme disait le fameux écrivain, “mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde.”