La Lettre de Couacs.info #90
Dimanche 2 février 2025 - La musique classique sous les radars - Boulez ! Encore Boulez ? - In love with Denisa - Dans la discothèque de Couacs
Au programme cette semaine :
AUDIOVISUEL PUBLIC : La musique classique sous les radars
CENTENAIRE : Encore Boulez ? - Une tribune de Denis Levaillant
RADIO : In love 💞 with Denisa
STREAMING : Dans la discothèque de COUACS

La musique classique, sous les radars
Chaque jour où presque apportera désormais son lot de désengagements financiers des collectivités locales à l'égard de la musique classique, pour des montants bien modestes eu égard à tant d'autres lignes budgétaires. La musique classique, genre musical fragile, devrait pourtant être le dernier à être attaqué par les édiles. Mais non : c'est le contraire qui se passera. Ne vous étonnez pas si ils épargnent plutôt à l'avenir les musiques dites "actuelles" : par électoralisme.
Il me semble que de telles attaques seraient moins aisées si la musique classique n'était pas passée au fil des ans sous les radars, en raison en particulier de son absence lamentable dans les médias généralistes du service public que sont France 2 et France Inter. Il va se trouver des gens pour rétorquer qu'il y a Arte où se réfugier, ou d’autres services, et que cela leur suffit bien. Je leur dis que tout cela est heureux pour eux, mais qu'ils ne pensent qu'à eux, pas à l'intérêt général, et pas aux amateurs de demain, au renouvellement du public qui permettra demain aux artistes de se maintenir.
La segmentation des chaînes audiovisuelles qui nous est proposée, tout comme la floraison des podcasts d’ailleurs, fait souvent perdre de vue la puissance encore incomparable, irremplaçable, indispensable, d'une antenne généraliste, comparée à des chaînes de niche. Une diffusion sur France Inter où France 2 à un horaire décent pèse beaucoup, beaucoup plus qu'une heure sur des chaînes accessoires. Cette diffusion ne parlera pas, non plus, au même public. En ce sens, l'émiettement de la programmation vers des micro-chaînes est une arnaque caractérisée du service public, qui fait semblant de tenir ses engagements culturels, si vous me suivez. Jadis pour ce faire les chaînes diffusaient leurs obligations en pleine nuit. Désormais ils les déplacent sur France 4 ou France 5. Le résultat est identique.
Exemplaire est le traitement récemment subi par le gala qui célébrait les 150 ans du Palais Garnier. Une telle institution, l’une des plus coûteuses de la République, aurait à l’évidence dû prétendre à un “Prime” exceptionnel sur France 2. Il n’en fut rien et c’est France 5 qui a diffusé, avec des replays. Mais rien ne remplacera l’impact qu’une telle soirée aurait pu avoir sur la chaîne amiral du service public télévisuel. Une occasion perdue, encore une, de faire lever des amateurs, et des vocations. D’un côté l’Etat, qui dépense des sommes astronomiques pour faire vivre une institution de prestige ; de l’autre, son propre service public audiovisuel qui invisibilise ses efforts. La déliquescence du service public à l'égard de la musique classique, se caractérise sur France 2 par un télécrochet, "Prodiges" où les œuvres sont constamment amputées et arrangées, et des concerts supposés “de prestige” qui présentent comme chacun sait toujours les mêmes artistes, des mêmes agents artistiques qui y font leur tambouille. Quand ce n’est pas, aussi, une affaire de famille recomposée, littéralement, créditée à la “Direction artistique” !
Tournons nous du côté de France Inter, la radio généraliste du service public, proclamée sans cesse à l’antenne “première radio de France”. La programmation musicale y a été formatée "pop" par la grâce de Didier Varrod, directeur de la musique a Radio France (ils sont plusieurs, on ne comprend plus…) qui y a évacué, avec son ancienne patronne Laurence Bloch toute diffusion de musique classique. Rien qui puisse permettre de former de nouveaux auditoires. Pas même 5 ou 10 minutes diffusées en continu ! Cela tombe bien mal pour la musique classique, qui est une forme longue par nature. Ne surnagent que deux pastilles le week-end, diffusant des extraits minuscules, et parfois des sujets dans les journaux d’information, présentés par de pseudo spécialistes “culture” ou “musique” qui n’ont pas de compétence spécialisée et satisfont les projets qui se paient le service de presse le mieux introduit. La “première radio de France” n’a donc pas les moyens de se payer un spécialiste musique classique un peu sérieux. Mais pour ce qui est de la pop, ils sont nombreux. Et, observez un peu les CV, la formation et les antécédents des gens en charge. Y-en-a-t-il un seul qui ait une formation musicale ou musicologique minimum, hors la lecture des Inrocks ?
Le Ministère de la Culture (et de la communication !) se soucie-t-il de cette situation aberrante qui consiste à massacrer avec la main droite ce qu’on finance avec la main gauche ? On n’en à pas l’impression, et d’ailleurs Rachida Dati n’est pas davantage à incriminer que ses prédécesseures : c’est du pareil au même.
L'absence d'exposition de la musique classique sur le service public audiovisuel généraliste devrait être un combat prioritaire, amont ; une revendication des professionnels du classique, au reste peu coûteuse à satisfaire.
Boulez ! Encore Boulez ?
Une tribune du compositeur Denis Levaillant
“ Une armée d’Ayatollahs voudrait nous vendre à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Pierre Boulez l’image du « grand compositeur visionnaire ». J’avoue que je n’achète pas, et je pourrais argumenter indéfiniment pour démontrer qu’il a mené la création musicale à une impasse mortelle. (…)
“ Ses thuriféraires n’ont cessé de proclamer que le critiquer était nécessairement la marque d’un esprit rétrograde, médiocre, voire « néo-conservateur », etc. Étant moi-même attaché à la recherche d’une nouvelle musique française, de nouvelles expressions, de nouvelles couleurs, de nouveaux rythmes, de nouveaux espaces, et donc peu susceptible, j’ose espérer, d’être considéré comme tel, il me semble nécessaire au contraire de critiquer les nombreuses impasses dans lesquelles il a entraîné la création musicale de notre temps, de corriger ces bases théoriques faussées, de rétablir le lien avec le public, bref de reconstruire une nouvelle musique. (…)
“ Il a cru bon de lier fortement la musique aux sciences dites dures, en particulier les mathématiques nécessaires à l’informatique. Dans ce domaine, son bilan est particulièrement mitigé, et l’Ircam est très loin d’avoir été à la pointe des inventions de son époque. Dès les années 1970-1980, l’essentiel de l’innovation a été porté par des musiciens scientifiques comme Bénédict Maillard à l’INA-GRM, Jean-Claude Risset au CNRS, John Chowning à Stanford, ou encore Stockhausen (à Cologne) et Berio (à Milan puis à Florence), ses concurrents immédiats. Les traitements en temps réel de Répons par exemple, qui devaient être la vitrine de l’Institut, sont restés dans un domaine déjà largement couvert par tous les bons sonorisateurs du monde, en particulier en variétés (lignes à retard, colorations, spatialisation, réverbérations, delays, etc.), et ont déçu tous les connaisseurs du son et de sa diffusion. (…)
In love 🩷 with Denisa
Je ne me prive pas de rappeler sur ce site tout le mal que je pense d’une grande partie des programmes de France Musique, et de la dérive tragique que lui a fait prendre son directeur Marc Voinchet. Il y a pourtant sur France Musique une excellente émission qui combine qualité de production, vraie originalité, curiosité et grande accessibilité : c’est celle de Denisa Kerschova, “Allegretto”, tous les matins de la semaine. Ce programme, parce qu’il est qualitatif et original, à toute sa place sur France Musique : Denisa Kerschova est même la seule productrice qui propose une vraie fenêtre “grand public” sur cette chaîne originellement spécialisée, à vocation certes pédagogique — mais ils ont oublié que pédagogique n’est pas synonyme nécessairement de confusion des genres musicaux et de vulgarisation bas de gamme.
Ce qui est intéressant c’est que Allegretto, sans n’en rien changer, pourrait tout autant figurer quotidiennement sur France Inter, la radio généraliste de Radio France où le classique est désormais réduit à presque rien. Elle y serait même diablement efficace en direction d'une plus grande audience. Ce qui montre qu’une émission bien faite, qui ne trahit pas sa cause, peut parler sans problème à des publics très differents. Pour ma part, il n'y a pas un jour où je n’y apprenne quelque chose, avec des répertoires souvent peu banals et des incursions agréables vers la littérature, la peinture, ou le théâtre. Non seulement l’émission est vraiment préparée, ce qui s’entend, mais elle repose sur la vraie compétence et l’esprit de curiosité de son animatrice, qui se tient heureusement éloignée des lieux communs. J’espère toutefois ne pas lui avoir porté tort en lui lançant ces fleurs !
Dans la discothèque de Couacs #90
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