La lettre de Couacs Info, numéro cent-huit
JEUDI 11 SEPTEMBRE 2025 - Vivement l’IA au service du streaming dans les musiques de patrimoine... - Nouveautés discographiques - Hallelujah ! Spotify offre (enfin) la qualité de son d’un CD !
Au sommaire cette semaine :
LES NOUVEAUX MYSTÈRES DE LA MUSIQUE (3)
- Vive l’IA dans la musique !DISCO-COUACS
- Quelques très belles nouveautés discographiques
ON N’ARRÈTE PAS LE PROGRÈS
- Hallelujah ! Spotify offre la qualité du CD à ses abonnés !
Les (nouveaux) mystères de la musique classique - 3
Vive l’IA au service du streaming , dans les musiques de patrimoine !
On nous présente l’intelligence artificielle comme l’ennemie de la musique. En inondant les services de streaming de ses compositions automatiques et déshumanisées, l’IA ne ferait que déstabiliser le système en place. Mais quel système ? Celui d’une musique commerciale souvent indigente et de ses petites mains. En réalité, elle permet à tout un chacun de fabriquer de la musique aussi médiocre que celle de bien des « professionnels », et ce, facilement, sans formation particulière. L'IA enlève le pain de la bouche de nos braves et grosses maisons de disques, après avoir déjà moissonné sans vergogne leurs catalogues pour s'entraîner.
Philippe Astor, dans son Substack @musiczone, s’est amusé à composer avec l’IA de Suno. Le résultat n’a rien de très classique, mais il est éclairant : avec des prompts bien sentis, n’importe qui peut devenir un roi crédible du raggamuffin ou de l’afrobeat pour une large audience peu regardante. Et le public semble apprécier en masse, à en observer les performances de la musique-IA sur les plateformes. Ne soyons pas naïfs : les mêmes maisons de disques qui crient au scandale aujourd’hui sauront demain s’adapter et transformer cet inconvénient en un avantage sonnant et trébuchant.
L'IA, bibliothécaire du futur ?
Pourtant, au-delà de ce débat sur la création assistée, il est un domaine où l’IA pourrait être un formidable outil pour l'industrie du streaming, un domaine dont personne ne semble se soucier : la curation des répertoires de patrimoine.
Quand on paie un disquaire par abonnement, on espère se promener librement dans les “rayons” sans qu’on nous colle une cible dans le dos pour orienter nos choix, et on souhaite disposer d'une véritable aide à la découverte. On en est très loin.
Mais, imaginez une IA dédiée au classique, au jazz, à la world music et au reste. Elle pourrait porter la curation à un niveau très supérieur : plus savante, plus honnête dans ses recommandations, plus richement documentée, organisant les données de manière cohérente. Un service aussi fiable et utile que peut l'être un bon article Wikipédia sur un sujet non polémique.
Aujourd'hui, les fonds de catalogues fournis par les labels sont souvent des versions castrées ou des compilations hâtives des albums originaux. Des coffrets de CD en tirage limité, hommages à de grands artistes, n’ont aucune version en ligne correcte. Or, l’une des promesses culturelles les plus enthousiasmantes du streaming était justement de pouvoir recréer et explorer la discographie complète d'un artiste, chose impossible avec les albums physiques. C’est un enjeu culturel, pardon pour le gros mot. Ce que des équipes humaines, souvent en sous-effectif et pas toujours assez expertes, ne peuvent accomplir, l’IA peut y contribuer largement. Elle peut dévoiler les richesses formidables enfouies dans les catalogues et les organiser à la demande de l'utilisateur. Une IA croisant les métadonnées des labels avec des bases de connaissances externes offrirait des discographies dynamiques dont les savants, qui passaient jadis des années à rédiger des livres vite obsolètes, n'auraient osé rêver.
Le grand bazar des nouveautés
Le constat est tout aussi affligeant pour les nouveautés. On nous parle souvent de sélections basées sur l’« expertise » des spécialistes des plateformes. La vérité, c’est que ces choix sont presque partout pilotés par le commercial ou la promotion et les idées reçues. Ils sont banals, oublient des sorties importantes pour peu qu’elles paraissent un mauvais jour, et sont aussi orientés que les têtes de gondole de la Fnac à l'époque. La différence ? Il était possible de dénicher une perle oubliée dans le bac de fouille d'un disquaire. Sur la plupart des services de streaming, c'est mission impossible : les labels sont mal indexés, leurs catalogues démembrés pour d'obscures raisons, et les outils de recherche chronologique sont défectueux, minés par la mauvaise qualité des données ou le manque de considération pour le client spécialisé. Ajoutons à cela que bien des curateurs humains pensent davantage à se faire plaisir qu’à servir une clientèle qu’ils connaissent mal.
Pour le classique et le jazz, Presto Music est le seul service qui donne aujourd'hui satisfaction. Leurs sélections hebdomadaires sont courtes, mais l'onglet "Tous les albums" remplit sa fonction et de nombreux disques sont correctement commentés. C
Chez Qobuz, l'alternative évidente, j’ai bien de la peine de devoir constater qui si peu de disques sont commentés, dans une logique incompréhensible et pour beaucoup, dans un style… atmosphérique. Un récital Chopin par une vedette, qui n’a pas besoin d’être expliqué, dispose d'un texte à rallonge qui cherche ses mots, quand un album conceptuel et obscur, ultra-spécialisé, n'en a aucun. Ici encore, l'IA pourrait au minimum récupérer les notes de pochettes fournies par les labels ou rédiger un texte de présentation acceptable à partir du seul programme des œuvres et des compositeurs. Pas un avis, mais un éclairage. C’est déjà ça. On peut laisser le privilège à Télérama d’avoir des avis !
La baguette et la farine approximative
Alors, pourquoi un tel immobilisme ? Le problème est en partie économique. Les plateformes logent tous les répertoires à la même enseigne, sans tenir compte de leurs besoins spécifiques, et sont handicapées par la mauvaise qualité des données qu'on leur fournit. Pour satisfaire les clients plus exigeants que les amateurs de pop, il faudrait investir sur la segmentation, donc augmenter les marges. Mais l'économie du streaming est verrouillée. Augmentez le prix de vos abonnements pour améliorer le service, et vos fournisseurs — les maisons de disques ou les sociétés d’auteurs — vous piqueront l'essentiel du butin. Ce système est aussi rigide que l'était jadis le prix réglementé de la baguette. On utilise donc une farine approximative.
Dans ces conditions, l’IA n’est pas l’ennemie. Elle est une solution. Son utilisation au service de la curation apporterait une plus-value considérable et immédiate pour ordonner et documenter l’existant, bien mieux que ne le font les humains sans son aide.
Une fois encore, comme au moment de l’arrivée de la musique en ligne, l'opportunité est là : aller au-devant de l’innovation et y faire infuser des préoccupations culturelles maîtrisées — ou alors se laisser engloutir par les méthodes du mainstream et du nivellement par le bas.
Quelques nouveautés discographiques
Il y a un peu plus de six ans, je mentionnais dans COUACS INFO alors naissant, deux jeunes pianistes, l'une plus jeune que l'autre : Arielle Beck et Alexander Malofeev, en invitant mes lecteurs à les découvrir tous deux. À seulement 16 ans, Arielle Beck publie cette semaine son premier enregistrement commercial, soit huit ans de moins que Malofeev qui, après s'être longtemps et prudemment tenu éloigné des micros, sortira le sien dans quelques semaines chez Sony.
Ce qui frappe à l'écoute d'Arielle Beck, sur scène comme sur ce disque merveilleux de bout en bout, c'est l'évidence et la maturité de son jeu. Il est d'ailleurs impossible de deviner que l’on a affaire à une si jeune artiste. Outre le travail immense que cela suppose, une telle maîtrise relève d'une intelligence, d'un tact et d'une profondeur musicale quasi miraculeux.
Son disque paraît chez Mirare et est disponible sur toutes les plateformes. Hélas, le même tact et la même grâce ne se retrouvent pas dans la présentation de l'album, dont l'esthétique est particulièrement laide. Au graphisme, où domine un mauve hideux, s'ajoute un livret (du moins, dans sa version numérique) dont la pagination et le texte sont en vrac. Martin Père et Fils, crédités de la « conception et du suivi artistique », font ici preuve d'une négligence regrettable.
Il n'y a pas d'autre mot pour le dire : ce disque est une réussite éclatante et propose un voyage enchanté. Enregistré en 2020 et publié seulement maintenant, il réunit le chanteur et le magnifique Helmut Deutsch dans des interprétations superlatives : on se régale d’un tel talent, d’une telle beauté vocale. L'album réserve une curiosité pour finir : des extraits des Dichterliebe enregistrés en privé en 1994, durant les années d'étude de Kaufmann. À noter, la version physique est accompagnée d'un DVD que je n'ai pas eu l'occasion de visionner. Lire la belle présentation de Catherine Cooper sur Presto.
APR publie ici les enregistrements réalisés par Alfred Cortot à Paris, Studio Albert, pendant la guerre, alors que ses studios londoniens avaient plus souvent accueilli ses séances avant le conflit. Ce sont à ce jour les seules traces réapparues de ces prises parisiennes qui furent, c’est établi, bien plus nombreuses et comportèrent d’autres œuvres : peut-être un jour referont-elles surface. Pour compléter ce programme, l'éditeur a ajouté la Troisième Sonate, enregistrée à Londres en 1931, mais dans une prise jusqu'ici méconnue. Les remasterings sont superbes. Les Études sont présentées dans l'ordre où elles furent gravées, probablement dicté par la durée des matrices à l’époque du 78 tours, c’est-à-dire… dans le désordre ! Alfred Cortot était génial, ce qui n’est pas une découverte. Jouées dans cet enchaînement surprenant, ses Études sonnent avec une fraîcheur que les imperfections légendaires du pianiste contribuent à rendre encore plus excitante. La vérité, c'est que je suis resté scotché cette nuit-là devant ma chaîne hi-fi jusqu’à 4 h 30 du matin pour savourer ce coffret jusqu'à la dernière note. Saisissant. Comme toujours chez APR, le livret est complet, détaillé, intéressant (et de bon goût !).
Brilliant Classics publie l’intégrale des œuvres pour orgue de Jean Langlais, l’un des plus grands compositeurs français du XXe siècle pour cet instrument. Trois volumes sont déjà parus. C’est une première mondiale qui, nous dit-on, sera bien plus complète que les intégrales précédentes.
L’initiative en revient à deux organistes italiens, Giorgio Benati et Fausto Caporali, élèves du Maître, et elle est intégralement réalisée sur des instruments italiens. On ne sait pas encore combien de disques comptera le projet une fois terminé, mais il faut se souvenir que l’œuvre pour orgue de Langlais — qui aimait à se présenter comme un « compositeur breton de foi catholique » — comporte davantage de numéros que celle de Bach !
Les livrets de chaque volume sont remarquablement détaillés et commentés. Une superbe et très utile réalisation.
Une nouvelle version de l’oratorio A Child of Our Time de Michael Tippett est toujours une fête et, heureusement, les interprétations de l’œuvre sont désormais nombreuses. Cette nouvelle version est signée par Edward Gardner à la tête du London Philharmonic Orchestra et de ses solistes.
A Child of Our Time a été composé entre 1939 et 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale. Il se présente comme un oratorio profane au message pacifiste universel, inspiré par les événements de la Nuit de Cristal de 1938. Le livret est du compositeur lui-même. L’œuvre, totalement originale, est ponctuée de cinq spirituals bouleversants. J’avoue être personnellement très attaché à la version du compositeur lui-même, réalisée peu avant sa disparition (pour le label Collins Classics et reprise par Naxos), en dépit ou peut-être même à cause de ses petits défauts. Mais avec Gardner, impossible de faire un mauvais choix : si vous ne connaissez pas, foncez !
Cet album constitue une excellente et large introduction à l’œuvre d'Arvo Pärt. Il est aussi, pour ainsi dire, une affaire de famille, tant les destins de la famille Järvi et du compositeur ont souvent été liés. Certaines pièces sont fameuses (Fratres, Credo…), d’autres le sont moins. Écoutez la dernière plage, cette Berceuse estonienne, qui a été initialement créée par Montserrat Figueras !
Hallelujah ! Septembre 2025 : Spotify offre (enfin) la qualité de son d’un CD !
Spotify vient d'annoncer que ses abonnés Premium disposeront enfin de la musique en qualité CD. Nous sommes en 2025 ! Quelle chance pour les amateurs un minimum exigeants ! 🤣 Aujourd'hui, la qualité sonore n'est donc plus du tout un sujet de différenciation pour les plateformes de musique en ligne, qui proposent toutes la qualité CD ou des qualités supérieures.
Qualité CD pour tous : une victoire au goût de déjà-vu
Pour rappel, Qobuz fut, à mon initiative en 2011, le premier service de streaming au monde à proposer à ses abonnés une écoute en qualité CD Lossless (FLAC 16-Bit/44.1 kHz), similaire à celle d'un disque compact. Cela faisait suite à une première étape en 2009, où la plateforme avait déjà été la première à offrir l'intégralité de son catalogue de téléchargement en qualité CD. En tant que mélomane, cela me semblait évident, urgent, voire obligatoire. Mais j'étais bien seul à l'époque.
Il faut se souvenir qu'alors, la plupart des commentateurs et le concurrent français Deezer, si choyé par l'État, considéraient que la consommation de données serait une barrière infranchissable pour l'utilisateur et que le service en serait instable. Ces deux prédictions se sont révélées inexactes. Ah, j'oubliais : on nous assurait aussi que le MP3 128 était bien suffisant et que la différence était inaudible. Par la suite, nous avons également offert le téléchargement Hi-Res à l'acte, puis rendu possible le streaming des achats dans l'application, et enfin proposé un abonnement dédié.
Au-delà du son : les chantiers oubliés du streaming
Avec l'avènement du streaming, la segmentation des répertoires a été anéantie par les plateformes grand public (mainstream). Les modèles économiques qui existaient dans le monde du disque physique ont été détruits, et depuis, rien n'a fondamentalement changé. Ces plateformes n'ont pas été créées par des professionnels de la musique ou de la distribution, mais par des amateurs astucieux et doués. Pas même par des mélomanes très raffinés ou avertis, qui auraient pu comprendre qu'on ne pouvait pas valablement mettre tous les répertoires dans le même sac. Tout découle de là, et beaucoup reste à faire.
Par ailleurs, le problème gravissime du partage de la valeur reste entier. Il n'est pas résolu et ne le sera pas par les déclarations de façade vertueuses des uns ou des autres. Il ne pourra être résolu que par des initiatives fortes et courageuses des producteurs eux-mêmes. Dans ce domaine, les plateformes pourraient aussi sortir de leur passivité pour se mettre en mouvement et créer.
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