La lettre de Couacs Info, numéro cent-quatre
Dimanche 22 juin 2025 - STIL et Alain Villain : début d'une série d'été. Master Class : comment réveiller les concerts d'orgue ? Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy Alfred Brendel. Etc.
Au sommaire cette semaine :
Entretiens avec Alain Villain, créateur des disques STIL. Premier article d’une série d’été exclusive que je suis particulièrement fier de publier, consacrée à un label classique français à nul autre pareil, et à son aventureux autant que irréductible fondateur Alain Villain.
Master-Class : Yves Rousseau à Vouvant " Comment j'ai construit un orgue dans l'église de mon village, et comment les concerts que j'y organise sont complets ! " : manuel… “à l’usage des paroisses” !
Disco Couacs : quelques brillantes nouveautés discographiques,
Alfred, avant Brendel. Retour sur les disques les plus anciens d’Alfred Brendel
SÉRIE D’ÉTÉ
Alain Villain, STIL.
Une aventure discographique hors du commun
Couacs Info débute cette semaine la publication d’une série d’entretiens issus des nombreuses heures passées récemment à dialoguer avec Alain Villain, que j’ai retrouvé après… une quarantaine d’années. J’avais rencontré Alain dans mes toutes jeunes années, au début des années 1980, captivé par une figure du disque tellement originale pour l’époque. Alain était installé dans un grand atelier sur cour au 5 rue de Charonne. Ses concerts-cassette étaient des moments extraordinaires : on les racontera. Le style de son label, le soin général, graphique en particulier, qu’il apportait à ses productions détonnait. On en comprendra l’origine à la lecture de ces entretiens.
Alain est une personnalité totalement singulière de l'édition discographique française - et pas seulement discographique. Il a fondé en 1971 STIL, label classique indépendant qui a publié des enregistrements marquants. Pourquoi STIL ? Parce que “stil”, c’est “style”, en allemand, pays où il avait effectué son service militaire !
Chemin faisant, nous ferons une utile recension de tous les disques du catalogue. Au premier plan des enregistrements fameux de STIL figurent les premiers disques de Scott Ross (Rameau, Couperin, Scarlatti…), les disques de Jean Boyer ou Pierre Vidal, Zaïs de Rameau par Gustav Leonhardt ; mais aussi des productions plus méconnues, auxquelles Villain attache une importance particulière, et qu’il détaillera. J’ai toujours pensé que le génie de certains labels réside aussi dans leurs références les plus ignorées !

L’histoire de STIL a eu son lot d’aventures absolument rocambolesques. L’édition de la partition des Boréades, opéra de Jean-Philippe Rameau, est la plus connue, mais aussi la plus travestie : l’action d’Alain Villain a été injustement mise en cause par des mal-informés mais aussi, et plus regrettablement, par des “spécialistes”. On lira donc dans ces entretiens et pour la première fois, l’histoire de STIL avec les Boréades et ses détails, racontée de son point de vue. En filigrane, qui sait entendre pourra saisir la pureté d'une démarche et son constant respect des engagements pris.
Ces entretiens dessinent le portrait d’un homme libre, farouchement libre, dont la vie toute entière a été orientée, souvent à ses dépens, en direction d’un idéal artistique intransigeant et, surtout, in-dé-pen-dant, qui n’a jamais voulu courir après les subventions et a pris ses risques. Le premier article de la série (publiée dans un ordre non-chronologique) évoque l’orgue du Gaumont Palace et les prémices de son sauvetage par Alain Villain.
La lecture de ces entretiens sera réservée aux seuls membres “Premium” de Couacs Info. Afin de pouvoir prendre le temps de présenter des documents rares et inédits (d’autres séries comparables sont en préparation) Couacs Info, publication libre de toute complicité commerciale, a absolument besoin de votre soutien.
PODCAST
Master Class :
" Comment j'ai construit un orgue dans l'église de mon village, et comment les concerts que j'y organise sont complets ! "
Il existe des milliers d’orgues en France et autant d’associations qui se démènent avec des moyens le plus souvent modestes pour entretenir et faire sonner leur instrument. Alors, il m’a semblé intéressant de dialoguer de nouveau avec Yves Rousseau dans un axe très pratico-pratique, pour savoir comment il a fait pour organiser le financement de son instrument, suivi la construction et surtout comment il anime avec cet orgue maintenant la cité qu’il habite de manière assez incroyable. Ce podcast parle franc, et constitue la Master Class d’un expert, qui ce mot a un sens. Comment rénover le genre des concerts d’orgue ? Comment captiver et fédérer un public local ? Comment se battre pour trouver les sous afin, sinon de construire un orgue neuf, du moins d’entretenir régulièrement son instrument ? Espérons que les idées et le dynamisme d’Yves Rousseau suscitent des vocations, et pourront aider à promouvoir la passion que nous avons tous pour l’orgue, trop souvent cantonné à la seule liturgie, à un moment où nous assistons à l’éclosion d’une brillante génération d’organistes français, à un vrai… Âge d’Orgue…
Quelques nouveautés discographiques et rééditions notables…
D’abord, deux histoires d’amour, en musique, et à quatre mains :
Le nouveau disque de Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy, à un seul piano et quatre mains, nous offre la version de la plume même de Stravinski du Sacre du Printemps, et Ma Mère l’Oye de Ravel. Ce Sacre à quatre mains a été créé à quatre mains par Debussy et le compositeur, ce qui a durablement marqué Debussy ! Le livret de ce disque est remarquable et éclairant. Extrait :
Debussy écrit à Stravinsky en 1912 : "J'ai encore dans ma mémoire le souvenir de l'exécution de votre Sacre du printemps chez Laloy... Cela me hante comme un beau cauchemar et j'essaie, vainement, d'en retrouver la terrible impression. C'est pourquoi j'en attends la représentation comme un enfant gourmand auquel on aurait promis des confitures." En témoignage d'amitié, Stravinsky offre à Debussy en juin 1913 un exemplaire de l'édition pour piano à quatre mains avec l'envoi suivant : “À mon très cher ami Claude Debussy en souvenir de la bataille du 29 mai 1913, son Igor Stravinsky, Paris le 9 juin 1913."
Cet album est une merveille à tous égards. Ce que font là les deux artistes confine au Grand Art. La version à quatre mains du Sacre est inoubliable, elle déshabille la partition d’orchestre pour révéler des secrets d’époque. L’un des plus beaux disques de piano de l’année, à coup sûr. [Chez harmonia mundi]
Le disque de Lukas Genuišas et de sa tendre et chère Anna Geniushene (médaille d’argent au Concours Van Cliburn 2022) est pareillement à quatre mains… mais réparties sur deux pianos ! Un programme de musique américaine absolument brillant et jouissif (Copland, Gershwin, Stravinsky et John Adams) mais avec une couverture d’album qui sent le pétrole, caprice de graphiste en PLS, sans doute !… Passons. [ Chez Alpha ]
Une étape importante : le dixième volume de l’intégrale pour claviers (avec un “s”) de Bach, par Benjamin Alard est paru. C’est vraiment, depuis le début, une entreprise admirable de talent, de constance pour laquelle autant l’interprète, souverain, que le label ne méritent qu"éloges et remerciements. [Chez harmonia mundi]
Le grand Krystian Zimerman nous est revenu au disque le 4 avril dernier, ce que je n’avais pas encore signalé, avec une bande de jeunes dans les quatuors avec piano n°2 et 3 de Brahms. On se tait, donc, et on écoute !

Alfred, avant Brendel
Je n’ai entendu que deux ou trois fois Alfred Brendel en concert à l’époque où, puissamment promu par Philips, il faisait à Paris le bonheur des “OK Boomers” mélomanes dans les années 70 et 80 : les tickets étaient trop chers pour mon budget lycéen. Et je dois dire que je n’ai jamais retrouvé en concert le même genre de joie, de conviction, d’évidence suscitées par ses disques anciens.
Car, “mon” Brendel était celui des disques Vox, Turnabout ou Vanguard achetés bon marché à mes débuts de discophile. Ce corpus discographique est un monument éternel de l’histoire du disque, à la fois ultra classique et magnifiquement inventif. Quand Brendel est réapparu sous étiquette Philips avec son lot de publicité au début des années 1970, je n’ai pas entendu grand chose dans ses ré-enregistrements qui me paraisse surpasser ou remettre en cause ses gravures de jeunesse, dont j’ai mis quelques pochettes sur l’illustration ci-dessous.1 Depuis lors, je suis toujours revenu, chaque semaine ou presque, à l’écoute de ses disques anciens, et je les écoutais encore une fois quelques heures avant d’apprendre sa disparition. Au risque de faire une remarque incongrue, le jeu de Brendel avait selon moi la même sorte d’évidence que celui d’Arthur Rubinstein : quel que soit le répertoire abordé, il jouait “dans le fil du tissu”.
La carrière d’Alfred Brendel a été exceptionnelle de régularité, comme son personnage lui-même était d’une qualité et d’une classe dont on semble avoir perdu le modèle. J’ai dîné un jour non loin de lui, il y a une douzaine d’années chez Vera Michalski, propriétaire des Editions Buchet Chastel, qui nous avait invités à l’occasion de la réédition du livre “Réflexions faites” . Manque de chance : l’insupportable Olivier Bellamy, installé à côté de Brendel, a accaparé sans vergogne la conversation toute la soirée avec les truismes et les banalités dont il est un grand spécialiste, dans un anglais bien sûr lamentable, ce qui a empêché toute possibilité de dialogue avec l’artiste qui a témoigné d’une patience et d’une indulgence admirables.
De la période Philips de Brendel j’adore au moins un disque : son premier concerto de Brahms avec l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam dirigé par Hans Schmidt-Isserstedt. Schmidt-Isserstedt ayant disparu immédiatement après cet enregistrement, le deuxième concerto a été enregistré avec le même orchestre mais sous la direction moins intéressante de Bernard Haitink et c’est bien dommage. Tout se passe dans ce premier concerto (à la prise de son superbe !) comme s’il avait été réalisé musicalement bien avant ; l’entente entre le soliste et le vieux chef est naturelle. On a souvent dit que les disques de jeunesse de Brendel avec orchestre réalisés pour Vox et autres “petits” labels avaient eu à souffrir de chef et d’orchestres de deuxième rang. Mais je crois encore préférer ces sympathiques approximations à l’eau tiède des accompagnements ultérieurs tout juste cosmétiques d’un Simon Rattle.
Même phénomène selon moi pour Arrau chez Philips par rapport à son époque EMI des années 50. Mais je risque de me faire incendier…