Mais que faisait-il pendant tout ce temps, Monsieur Couacs ?
Pardon, chers abonnés, pour ce relatif silence de Couacs.info. Pour tout dire, je suis par ailleurs en cours de création d’une nouvelle activité, liée aux sujets habituels dont traite cette lettre : on ne se refait pas, et l’action me manquait quelque peu. Je dirai tout quand tout sera plus clair !
Après la bataille…
D’abord, il y a eu le 6 septembre 2025 une première tribune sur le site de Mediapart dans l’espace « Club » du journal en ligne. Elle s’appelait « Classical Music for Palestine » et était initiée par un groupe de personnes rassemblées sous ce nom avec, il faut le dire, pas mal d’artistes classiques. Déjà, Jean Rondeau et Adam Laloum, à la manœuvre, se sont démenés pour recueillir des signataires.
Ensuite, il y a eu une tribune le 16 septembre 2025 — cet « Appel au boycott culturel contre le génocide du peuple palestinien » — sur le site de Mediapart, toujours dans l’espace « Club ». Parmi d’autres signataires très, très peu classiques, on retrouvait le même binôme. Cette tribune visait le concert de Lahav Shani prévu le même jour à la tête du Philharmonique de Munich au Théâtre des Champs-Élysées.
Puis il y a eu une troisième tribune, le 14 octobre dernier, encore chez Mediapart. Cette « Lettre ouverte à la direction de la Philharmonie de Paris » appelait à l’annulation du concert de l’Orchestre Philharmonique d’Israël du 6 novembre 2025. Elle n’était plus signée que de quelques artistes classiques , bien peu par rapport à celle du 6 septembre : beaucoup avaient compris la « manip’ » entre-temps. Bien sûr, nos deux compères étaient signataires.
Une quatrième tribune, toujours chez Mediapart, a été publiée le 21 novembre 2025 sous le titre : « Mettre fin à la complicité culturelle avec le génocide : lettre à la Philharmonie de Paris ». Lancée cette fois par le duo habituel, rejoint par Adèle Haenel et Bonnie Banane (chanteuse pop-mauviette habituée de France Inter).
On sait que le concert du 6 novembre, maintenu, a été perturbé, et des fumigènes lancés. Quelques uns des agitateurs ont été rossés par des spectateurs furieux : cette vivacité retrouvée du public bourgeois parisien rend optimiste. Il semble que ni Adam Laloum ni Jean Rondeau n’aient eu à subir le bâton : ils n’étaient pas là.
La plupart des autres musiciens signataires des tribunes n’étaient pas là non plus, sauf erreur : ils ont vite compris la manœuvre et n’ont pas signé, dès le deuxième texte. Qui étaient les agitateurs, alors ? Des militants de la mouvance LFI qui n’ont probablement rien à faire de la musique classique et qui ont dû s’ennuyer ferme en attendant de sortir leurs pétards : ils auraient préféré Bonnie Banane ! On espère qu’ils manifesteront avec autant d’indignation, qu’ils entreront courageusement en dissidence quand leurs bailleurs de fonds publics seront majoritairement Rassemblement National, quand Laurence Ferrari ou son époux, ou d’autres semblables, deviendront décisionnaires dans les futures instances ministérielles de la culture.
Et puis, comme il manquait dans cette affaire une grande voix chez les intellectuels, il a fallu que Didier Eribon mette son grain de sel, nous expliquant que Gergiev et Shani c’est pareil, dans le genre fripouilles corrompues et asservies à leur gouvernement ; en soulignant que Gergiev boycotté était en somme un chef plus incontestable que Shani : “ sans conteste un chef d’orchestre bien plus éminent que Shani “. On ne le savait pas mélomane à ce point. Il doit considérer comme moins problématiques l’affairisme et les propriétés de Gergiev en Russie et ailleurs, sa proximité de notoriété publique avec Poutine, que la vie, la carrière et les vertus de Lahav Shani et ses musiciens.
La CGT-SNA des artistes a aussi pris position pour le boycott et soutenu les perturbateurs. On entend d’ici les membres de ce syndicat hurler si un jour des fachos viennent à déranger ou empêcher un spectacle au Théâtre de l’Odéon par exemple (dont le directeur, à la radio, a tenu des propos très idiots toujours à propos de ce boycott).
Le MRAP a pris position contre le boycott, en s’expliquant clairement.
Le journaliste Michel Guerrin, dans Le Monde, a quant à lui assez bien exprimé, je trouve, [lire ici] ce qu’il y avait à dire à propos de ces événements. Cependant, quand il estime que l’Orchestre Philharmonique d’Israël, à Paris, aurait pu s’éviter de jouer en fin de concert l’hymne national israélien, il n’a pas intégré le contexte. Les musiciens de l’orchestre, assignés malgré eux à la nationalité de leur groupe — d’ailleurs pas à tous la leur, et ne parlons pas de religion — sont très minoritairement financés par l’état d’Israel. Alors, ce pied de nez à leurs détracteurs en fin de concert, pourquoi pas ? Sans faire de mauvais esprit, rappelons que cet orchestre a été fondé en 1936 par Bronislaw Huberman sous le nom de… Orchestre Symphonique de Palestine.
La Philharmonie de Paris a d’abord soutenu la tenue du concert. Mais le 20 novembre, elle a envoyé une lettre prudente à ses clients et abonnés. Extrait :
« Par ailleurs, en réaction aux perturbations du concert, l’orchestre a interprété ce soir-là en deuxième bis l’hymne israélien qui n’était pas prévu au programme et qui n’a pas été joué ailleurs dans le cadre de la tournée européenne dont cette date faisait partie. La Philharmonie tient à rappeler que ce choix a été celui de l’orchestre et de lui seul. »
Puis, on a appris que la Philharmonie avait déposé une deuxième plainte, celle-là « pour viser l’ensemble des personnes qui auraient commis des actes de violences physiques ou verbales au cours de cette soirée ».
Voilà qui s’appelle ramener la balle au centre et peser au trébuchet, par itérations successives, une réaction pour la rendre aussi lâche que possible. On voit qu’Olivier Mantei surpasse en suavité idéologique son prédécesseur, lequel avait jadis honteusement « lâché » en public Keith Jarrett quand ce dernier avait décidé d’interrompre son concert Salle Pleyel, trop dérangé par des spectateurs bruyants.1
Lahav Shani a adopté une position claire, sans ambiguïté, et depuis longtemps. Je m’interroge en revanche sur un possible dîner de Noël agité, la semaine dernière chez les Barenboïm, puisque Daniel a soutenu Shani en se rendant à ses concerts quand son fils, le violoniste Michal Barenboïm, premier violon du West Eastern Divan Orchestra et l’un des responsables principaux de l’ensemble, fait partie des plus agressifs partisans du boycott…
Quant à Jean Rondeau, il n’a guère eu à se plaindre de l’attitude tellement indulgente de la Philharmonie de Paris à son égard : en dépit du fait qu’il ait été l’un des principaux meneurs des troubles qu’elle a du subir, l’institution de la Porte de Pantin lui a maintenu fin novembre les concerts de promotion prévus pour la sortie de ses nouveaux disques. Business is business. …Et n’y a pas eu de nouveau courrier de la Philharmonie à ses abonnés à son sujet !
Bien sûr, Benyamin Netanyahou est une crapule, et sans doute l’un des pires ennemis des juifs dans le monde.
Bien sûr, ce qui se passe à Gaza est inadmissible.
Mais j’ai vraiment un gros problème, c’est une question de principe, avec des musiciens appelant au boycott de leurs confrères musiciens.
Pas vous ?
Post scriptum - Prochain épisode : le concert du splendide Quatuor de Jerusalem, également à la Philharmonie le 16 janvier 2026. Olivier Mantei a du pain sur la planche. On lui suggère surtout de vérifier ses procédures de sécurité.
“ Qui bene amat, bene castigat ”
Fin 2015, il y a dix ans tout juste, je lâchais les rênes de Qobuz, créé avec un associé en 2007, après avoir passé deux dernières années à batailler pour survivre, trouver les moyens de poursuivre cette aventure, ou que cette aventure se poursuive, même sans moi. Nous sommes en décembre 2025 : Qobuz existe encore et mieux que celà, semble devenir un peu « tendance », émerger d’un certain anonymat face à ses concurrents. Il se dit qu’aux États-Unis sa progression est importante, encouragée par le désamour pour Spotify dans certains milieux. Tant mieux. Cette réussite est une satisfaction, et la preuve que le repreneur, Denis Thébaud, était le bon, et a fait ce qu’il fallait avec une opiniâtreté d’ailleurs remarquable autant que discrète.
Je n’ai pas souvent évoqué cette expérience de la création de Qobuz : je saisis l’occasion de ce curieux anniversaire pour rappeler et éclairer certains épisodes — non par nostalgie, mais pour rappeler les combats qui restent toujours à mener dans la musique en streaming, combats auxquels Qobuz avait voulu s’attaquer très tôt. Très tôt ou… trop tôt ? Je ne crois pas trop tôt, à moins de tenir pour normale une soit-disant industrie culturelle qui, vingt ans plus tard, comporte encore tant de scories et tarde tant à sortir de sa préhistoire.
Mais comme ce qui est réellement important dans une entreprise vivante est la suite de l’histoire, et non pas le passé, j’aurai l’occasion de désigner sans langue de bois où sont, selon moi, les enjeux à présent pour que Qobuz reste le produit qu’il avait prévu d’être, en des temps grandement changés.
Il y a vingt ans, j’avais posé les bases d’un projet, Qobuz, qui visait à offrir aux abonnés d’un service de musique en ligne :
tous les répertoires disponibles de toutes les maisons de disques, de sorte qu’ils ne se cognent jamais contre les murs en voulant écouter autre chose que leurs genres préférés ;
dans une qualité de son au minimum équivalente à celle du CD (la concurrence en était très loin à l’époque) ;
avec un appareil documentaire au moins équivalent à celui offert par le CD ;
avec en plus tous les bénéfices d’exploration offertes par les bases de données ;
et en proposant une curation indépendante, farouchement indépendante, favorisant, en mode « discrimination positive », les répertoires spécialisés : classique, jazz, world music, diction, enfants…
Ce n’est que plus tard, à la faveur de coups de volant stratégiques qui m’ont été suggérés par l’environnement concurrentiel français, que Qobuz s’est installé et a acquis la réputation qui est la sienne sur le créneau de la « haute résolution » […]
Spotify piraté : éternelle question du vice et de la vertu…
On apprend qu’une organisation qui veut défendre et mettre à l’abri le patrimoine culturel de l’humanité (en l’occurrence la musique), Anna’s Archive, vient de pirater la « presque totalité » du catalogue de Spotify pour le mettre en accès libre. Anna’s Archive précise que cet acte valeureux a été réalisé sur le plan technique pour que les fichiers soient ensuite distribués « au format OGG Vorbis 160 kbit/s pour les titres populaires, et OGG Opus 75 kbit/s pour les moins écoutés ». Et quant aux fichiers très peu écoutés selon les critères de Spotify , ils ont été laissés de côté par Anna’s Archive pour qui ils ne font probablement pas assez partie du “patrimoine de l’humanité”.
Ces amis de l’Art et des artistes traitent aussi négligemment la musique que Spotify et son OGG Vorbis 160 kbit/s. Et tout comme Spotify et la plupart des plateformes de streaming, ils privilégient les tubes et méprisent les répertoires les moins populaires en dégradant encore plus la qualité sonore des fichiers « les moins écoutés ».
Le coût de la musique sur Spotify et ailleurs étant déjà proche de zéro, et même proche du zéro absolu sur des plateformes comme YouTube, la mise à disposition gratuite de tout ce fatras à des geeks qui auront la patience de le démêler présente un intérêt et un danger assez limités — sauf peut-être pour les plus gros pourvoyeurs de pop et de rap, ceux-là mêmes que les plateformes de streaming ne manquent pas déjà de privilégier. Après 20 années de streaming dit « payant » irresponsable, on n’a pas trop envie de plaindre les malheureux riches ainsi dépouillés.
Si j’ai bien compris, les concertos pour violon de Spohr, les symphonies de Raff ou le quatuor à cordes de Mikalojus Konstantinas Čiurlionis n’ont pas été piratés, parce qu’aux yeux d’Anna’s Archive ils n’intéressent personne. Ouf. Je vous mets les liens, ils valent le coup !
Hommage, au passage, à Francis Marmande qui vient de nous quitter, et qui avait rédigé pour Le Monde le compte rendu de l’évènement.





