La lettre #87 de Couacs.info
Jeudi 16 janvier 2025 - Supraphon passe à l'ennemi. Travail gratuit à France Musique ? Modernité Salle Gaveau ?. Le Centre National de la Musique perd la tête. La discothèque de Couacs.
Si vous aviez déjà reçu cette lettre par mail , il s’agit d’un erreur de manipulation de ma part, dont je vous prie de bien vouloir m’excuser.
Encore un, bouffé par une Major : le label tchèque Supraphon racheté par Sony
La razzia des Majors du disque sur les plus beaux labels indépendants se poursuit. On a appris ce jour que Supraphon, l’un des plus précieux catalogues classiques, un trésor du disque considéré comme objet culturel, passe à l’ennemi avec armes et bagages. Il faut bien comprendre que seuls les Majors ont aujourd'hui les moyens d’acheter, même pour pas cher. Les règles d'exploitation du streaming, gérées et contrôlées par les Majors et les indépendants de la variété depuis 15 ans ont entraîné la paupérisation des labels indépendants classiques qu’il suffit de ramasser à présent.
Par ailleurs, la rentabilité de la production phono en classique étant proche de zéro, la stratégie des Majors est de mettre leurs billes là où ça rapporte toujours quoiqu’il arrive : la distribution numérique, cette économie de rente qui prend son pourcentage au passage, quoiqu’il arrive et toujours. En classique elles accumulent, à défaut de réellement produire. On constate déjà, par exemple, que la production de Hyperion, racheté par Universal est en train de s’éteindre : un seul disque au mois de janvier (mais très beau, je dois dire).
Dans la famille des indépendants, qui ne pouvait pas survivre sans structure de distribution autonome et dédiée, c'est l'immense, le cruel échec du groupe Naxos et de son fondateur que de n'avoir pas tenu leur promesse implicite de proposer aux indépendants une alternative de distribution adaptée au disque classique : ils étaient les seuls, à un moment, capables de le faire, et ils ont laissé à la place un champ de ruines.
On a appris aussi il y a quelques semaines que Universal Music s’apprêtait à racheter pour 775 millions de dollars Downtown Music, une groupe qui possède des distributeurs numériques tels que CD Baby ou Fuga. Les labels indépendants qui avaient choisi ces sociétés pour leurs distribution sont maintenant otages d’Universal et sans grande alternative, au train où vont les choses. Rappelons que Universal a complété son rachat intégral de PIAS, qui possédait hamonia mundi.
Mais bon, ne pleurons pas : Supraphon appartenait déjà à un groupe davantage axé sur la variété. Les actifs ne vont pas disparaître, d'autant que le travail de réédition numérique sur ce label sans être totalement achevé, est déjà en grande partie réalisé et nous a rendu quantité de merveilles ces dernières années. Pour le futur, c'est-à- dire pour la survie de la production, on est plus sceptique. Reste que, il vaut mieux mieux selon moi tant qu’à faire, pour la diversité, que ce soit Sony Music qui rachète, plutôt que Universal ou Warner. Accessoirement, le label était distribué numériquement (pas très soigneusement) au niveau mondial par les gens de chez Believe qui perdront au passage l’un de leurs plus beaux distribués. Beaucoup de mélomanes traînent encore les pieds, nous dit-on, pour passer au streaming. Il faudrait pouvoir évaluer la responsabilité du mauvais travail éditorial et métadonnées des éditeurs et distributeurs dans ce retard.
Travail non rémunéré à France Musique ?
On m'a soufflé à plusieurs reprises dans l'oreillette que l'une des dernières émissions publiques survivantes de France Musique, le samedi après midi, " Generation France Musique + Le Live ", qui invite le plus souvent de jeunes artistes mais pas seulement, ne paie pas le moindre cachet à ses invités pour leur prestation, tout en exploitant aussi leur travail, à la suite, sur sa plateforme et les réseaux sociaux en audio et en vidéo, sans limite de temps.
Cette situation est choquante, à tout le moins sur le principe.
Vous pensez bien que les artistes et chefs invités ou permanents aux orchestres de Radio France ne jouent pas gratuitement, eux, et obtiennent pour certains des cachets plantureux indexés sur le show-biz du classique ; cachets sur lesquels on ne saura jamais rien, puisque…
Le Centre National de la Musique perd sa tête
Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre National de la Musique a annoncé le 13 janvier son départ rapide de l’institution à la fin du mois de janvier. Peut-être veut il lui aussi faire pilote de l’air comme Daniel Harding ? Ou s’occuper de sa famille, comme Gustavo Dudamel ? Extrait de son communiqué :
“ Le Président de la République et la ministre de la Culture ont décidé de donner, prochainement, une nouvelle présidence au Centre national de la musique. Avant de quitter mes fonctions, au plus tard à une date que j’ai moi-même fixée au 31 janvier, j’assurerai la continuité et la transition la plus harmonieuse, dans l’intérêt de l’établissement et de la filière de la musique et des variétés.En partant, dans trois semaines, c'est le sentiment du devoir accompli qui prédominera, avec la fierté d'avoir dirigé l’équipe formidable du CNM. “ Etc.
On comprend à le lire qu’il n’a pas décidé de partir de lui-même. Sans doute n’est-ce pas la plus mauvaise solution en ce qui le concerne, tant l’avenir semble compliqué pour ce fichu CNM, mauvaise réponse à un problème mal posé ou qui ne se posait pas ; mirage mal financé dès l’origine mais artificiellement et par miracle gonflé des subventions du “quoi qu’il en coûte” quelques mois après sa création.
Jean-Philippe Thiellay a construit sur cette promesse fragile un petit empire bureaucratique et administratif qui n’arrêtait pas d’embaucher, d’organiser des colloquies à la noix sur tous les sujets sociétaux possibles, se comportant comme s’il était le coordinateur d’un métier qui n’en veut surtout pas, et finalement rejeté par lui. En suivant sa communication on aurait pu l’imaginer davantage ministre que ses ministres de tutelles. Une photo que je ne retrouve pas le montrait, imposant à l’occasion d’un raout de bonne année l’audition d’un long discours de vœux à Rachida Dati, qui attendait que ça passe. Elle n’a peut-être pas apprécié.
Son ou sa successrice aura fort à faire, compte tenu des problèmes budgétaires gigantesques qui se profilent, et au plus mauvais moment. On lui souhaite du courage pour faire face à une “filière musicale” qui n’en est une qu’aux yeux des politiques, mais plutôt la réunion de silos crispés sur leurs égoïsmes, créateurs souvent de leurs propres misères, sans solidarité entre les répertoires et dans une certaine détestation entre musique dite “vivante” et musique enregistrée.

La Salle Gaveau, “en route vers la modernité” par la grâce d’un spécialiste des humoristes, et d’une gravure de mode influenceuse.
On a donc appris il y a quelques semaines que Jean-Marc Dumontet, le Tycoon de l’humour à Paris, qui possède déjà une brochette de théâtres dédiés à la lucrative industrie du drôle et du ricanement, prenait en mains l’avenir de la Salle Gaveau et en avait également acheté la marque.
J’ai consacré un article à cette nouvelle :
À la suite de cette publication, dans un message SMS, Jean-Marc Dumontet me précisait qu’il n’avait acheté que le fonds de commerce et la marque, et non pas les murs, ce qui éclaire le montant modeste de la transaction, et se disait déçu par mon article. Je lui ai proposé de lui adresser quelques questions pour recueillir des informations sur ses intentions, mais il n’a pas répondu.
Un article dans le Figaro, bonne langue de bois et charriant tous les poncifs possibles est paru un peu plus tard.
Le fond du problème n’a vraiment rien à voir avec l’opinion qu’on peut avoir sur les activités et spectacles promus par Jean-Marc Dumontet, ni sur sa personne, tout-à-fait respectable. Mieux : je vous garantis que se maintenir longtemps dans la production commerciale non subventionnée à Paris n’est pas donné à tout le monde, et Dumontet possède de ce point de vue exactement les qualités qui sont nécessaires à la Salle Gaveau pour se relancer. On devrait même…
Dans la discothèque de Couacs : disques récents
Le disque extraordinaire à quatre mains de Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy consacré à Schubert chez harmonia mundi
Un fort beau disque de sonates violon-piano de Georges Enesco, Maurice Ravel, Gabriel Fauré et Nadia Boulanger par Gaëtane Prouvost et Dana Ciocarlie
Cristian Monti, un jeune pianiste au répertoire audacieux et qui a fait un sacré effet récemment lors d’un récital à Cortot. Ici, dans Scriabine et une vcréation de Jacques Lenot.
Un magnifique disque de musique de chambre du Quintette Syntonia consacré à Claude Delvincourt. Vous serez choqué !
Un autre disque de musique française rare, signé du violoniste Amara Tir et du pianiste Jean Dubé.