Catherine Collard. Le témoignage de sa sœur, Marcelline Collard
Catherine : pianiste. Marcelline : actrice. Deux sœurs très liées dans une famille unie aussi par la musique.
“ La musique. la musique toute la journée… Cela a dû commencer dans le ventre de notre maman ! Papa était pianiste. À l'École Normale, il avait eu pour professeurs Alfred Cortot, Yvonne Lefébure, Nadia Boulanger, Paul Dukas. Après sa licence de concerts et son premier prix d’Excellence au Concours Général suivi de plusieurs prix internationaux, il parcourut le monde avec des tournées qui duraient plusieurs mois. Je n’ai pas connu ces longues absences mais je sais qu’à la maison, il répétait avec les solistes les plus prestigieux de l’époque : Gérard Jarry, Christian Ferras, Kathleen Ferrier, Jacques Thibaud, Zino Francescatti, la soprano brésilienne Maria d’Apparecida… j’en oublie d’autant que, pour certains, je n’étais pas encore née !

“ J’avais quatre ans de différence avec Catherine : je suis de 1951 et elle de 1947. A onze ans, je me suis présentée au CNSMDP dans la classe de danse. J’ai été reçue première nommée et c’est Catherine qui est allée voir la liste des admises car je n’en avais pas le courage. J’ai encore en mémoire son hurlement de joie au vu des résultats. J’ai bifurqué plus tard, à dix-sept ans, et j’ai intégré le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, pour embrasser le métier de comédienne. Papa, lui, est décédé paraplégique en 1979 ; il avait soixante-huit ans. Notre frère Georges Collard qui est né en 1941 a poursuivi un cursus scolaire et universitaire plus classique. Cependant, il jouait de la guitare, composait, écrivait des chansons. Beaucoup. J’ai le souvenir où, tout du long des trajets en voiture pour rejoindre notre lieu de vacances, il nous chantait, accompagné de sa guitare, la quasi-totalité du répertoire de Georges Brassens ainsi que ses propres compositions
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“ Il n’y avait aucune volonté de dynastie musicale dans la famille, tout s’est fait naturellement ; Maman chantait magnifiquement bien, paraît-il, mais elle a arrêté peu de temps après avoir rencontré papa. Nous habitions un appartement à Paris, rue Lentonnet. Dans l’immeuble d’en face, habitaient les sœurs Barbulée dont l’une, Jeanine, était une professeure de piano réputée et l’autre, Madeleine, la comédienne favorite de Jean Anouilh. C’est là qu’à quatre ans, Catherine a commencé le piano - commencé très doucement jusqu’au déménagement de mes parents pour Sceaux où nous eûmes de la chance avec les voisins : l’appartement mitoyen était en effet occupé par un couple de violonistes appartenant à l’Orchestre National et, en dessous, logeait un médecin généraliste qui adorait la musique. Dans le voisinage, résidait également Alfred Loewenguth, un merveilleux homme qui avait créé l’Orchestre des Jeunes auquel, plus tard, Catherine prêtera son concours. Catherine avait alors huit ans ; elle a arrêté net le piano et poursuivi ses études au lycée Marie Curie où elle avait la fâcheuse habitude de faire les pieds au mur, ce qui n’avait pas l’heur de plaire à la direction au point qu’après plusieurs avertissements, elle a fini par se faire renvoyer !
“ C’est à quatorze ans que Catherine a repris le piano. Quelques mois après, elle se présenta au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et y fut reçue : elle a quitté la maison à dix-huit ans. J’en avais donc quatorze. Nous étions très accaparées l’une et l’autre par nos études artistiques. Dès son entrée au conservatoire, Catherine s’est investie à mille pour cent dans ses études de piano. C’était devenu sa raison de vivre ; à mes yeux, elle incarnait une sorte d’envoyée sur terre de je ne sais quelle entité divine pour nous délivrer un message d’amour : magnifier, transcender, donner l’exact souffle des compositeurs qu’elle interprétait. Elle adorait Germaine Mounier, l’assistante de son professeur Yvonne Lefébure qu’elle vénérait tout autant, et je crois que c’était réciproque. En musique de chambre, elle a eu Jean Hubeau et, en troisième cycle, Yvonne Loriod dont elle a été très proche pendant cette période, proche aussi de son mari Olivier Messiaen, lorsqu’elle a remporté le premier prix Messiaen à Royan. Sa “période musique contemporaine” a duré peu de temps et je ne crois pas que, par la suite, elle ait eu des liens d’amitié suivis avec les compositeurs qu’elle a joués durant cette période.
Catherine Collard en concert (1969-1972)
Mozart, Beethoven, Brahms, Schumann, César Franck et Boucourechliev
Parution le 22 avril 2025 chez Solstice. ww.solstice-music.com
“ Catherine a vécu de grands moments de bonheur lors de ses tournées internationales mais elle gardait pour elle sa vie personnelle. Elle a enseigné au Conservatoire National de Région de Saint-Maur, puis à Nice. Elle se montrait à la fois très sévère et incroyablement généreuse ; c’était un professeur extraordinaire. Ses élèves l'adoraient et ils en parlent encore aujourd’hui avec une infinie émotion et reconnaissance. Beaucoup d’entre eux ont fait carrière.
“ Sa maladie, ce n’est pas elle qui m’en a parlé en premier. Je l’ai su avant elle. Quand elle est tombée malade, durant l’été 1992, elle était en vacances dans le sud de la France. On m’a appelée pour me dire qu’elle n’allait pas bien, et qu’elle avait été hospitalisée à Nice. Le ciel m’est tombé sur la tête. J’ai pris le premier avion. J’ai été à son chevet les trois semaines qui ont précédé son rapatriement à Paris. J’avais ordre des médecins de ne surtout pas lui dire qu’elle était atteinte d’un cancer généralisé. Je n’ai jamais été aussi malheureuse de ma vie. On a dû attendre qu’elle soit à Paris pour le lui annoncer, et pour cause : le lourd protocole de la chimiothérapie devait commencer… Ce fut horrible pour elle et d’autant plus tragique que sa carrière de concerts avait redémarré après une période professionnellement difficile pendant laquelle elle avait quand même trouvé l’enthousiasme et l’énergie d’enseigner et de créer des festivals d’été.
“ Par l’amicale entremise de Bruno Rigutto, il y avait eu la rencontre fructueuse avec René Gambini, le directeur du label Lyrinx. Leur premier disque en 1988 fut couronné d’emblée par l’Académie Charles Cros ; s’ensuivirent maints autres tous multi récompensés, salués par le monde musical et la presse spécialisée.
Elle a été vraiment heureuse pendant cette période. Elle renaissait, littéralement.
“ Pendant une courte rémission au printemps 1993, elle a encore pu enregistrer les deux cahiers des Préludes de Debussy.
Ensuite, ce fut la rechute.
Mon dernier souvenir de Catherine, c’est elle sur son lit de mort.
Propos recueillis par Yvette Carbou © Disques Solstice